La Seine, notre bien commun

L’ensemble des échanges est restitué dans les actes du Forum, édités 
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Les débats du deuxième Forum Axe Seine, le 11 octobre à Rouen, ont mis en exergue de fortes attentes vis-à-vis de l’État. Une stratégie plus clairement affichée et des moyens conséquents sont attendus pour relever les défis de la ville résiliente, d’un transport décarboné et d’une relocalisation de projet industriels. Compte rendu.

Une salle pleine, un format original de discussion, des interventions multiples et une belle affiche… Le 2e Forum Axe Seine a tenu ses promesses ce mardi 11 octobre à Rouen, au hangar 10. L’ouverture conjointe par Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et Président de la Métropole et Édouard Philippe, maire du Havre et président du Havre Seine Métropole, a donné lieu à un savoureux dialogue. Nicolas Mayer-Rossignol évoquant la nécessaire dimension de poétisation du fleuve comme trait d’union entre les habitants et les villes de la vallée, à l’image de la candidature de la Seine normande au titre de capitale européenne de la culture portée par la Métropole de Rouen. Édouard Philippe invitant à se retrousser les manches collectivement pour faire avancer la cause de l’Axe Seine soulignant que « ce qui était bon pour Le Havre était bon pour Rouen et vice-versa ».

Tout au long des trois tables rondes portant sur la relation ville-fleuve, les enjeux de transport décarboné et la place de l’industrie, les points de blocage et des marges de progression ont été pointées par de nombreuses prises de parole.

En premier lieu parce que le fleuve, source historique de développement, est aussi source de risques pour la ville comme pour les activités économiques, avec le réchauffement climatique, les épisodes de pluie intenses et la montée des eaux. De ce fait, Marie Atinault, conseillère pour les territoires en transition, a souligné l’importance de penser collectivement la ville en termes de sobriété énergétique, foncière ou de ressources pour anticiper les enjeux climatiques. Une réflexion qui passe par des apports d’experts mais aussi du « dialogue contradictoire et citoyen pour poser les options et dépasser les contradictions », a souligné Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers. Et si le foncier se fait rare dans le cadre de la mise en œuvre de la Zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, Joachim Moyse, maire de Saint-Étienne-du-Rouvray, insiste pour ne pas opposer les besoins de logements et la relocalisation d’activités de production à proximité des habitations, pour éviter l’étalement urbain.

Côté développement économique, les avancées sont notables, avec la création d’un opérateur unique portuaire, Haropa Port, et grâce à l’arrivée de nombreux projets industriels « que nous attendons depuis 30 ans, à l’image du projet d’unité de production d’hydrogène vert à Port-Jérôme en Seine » s’est félicité Jean-Baptiste Gastinne, vice-président de la Région Normandie. D’autres, au premier rang desquels Régis Saadi, président de l’association d’industriels des boucles de la Seine, Upside, ont dit combien l’industrie était précieuse sur le territoire et qu’elle avait toute sa place, à condition de bénéficier d’un éco-système favorable et d’investir dans la formation de salariés qualifiés. Des activités d’autant plus acceptées lorsqu’on travaille avec les citoyens la prévention des risques et qu’on joue la transparence en respectant les populations riveraines, comme l’a souligné le député du Havre Jean-Paul Lecoq, se félicitant du travail entrepris notamment avec Total. Dans ce domaine, la métropole de Rouen doit rattraper son retard sur la gestion des crises industrielles en s’inspirant de l’exemple havrais. Le spectre de Lubrizol n’est jamais loin…

Contrer le sous-investissement

Sur le ferroviaire, le retard conséquent pris par la réalisation de la Ligne Nouvelle Paris-Normandie impacte aussi bien le trafic voyageurs que le développement du Fret. L’exigence d’un plan de rattrapage de l’État est unanimement partagée pour éviter que Rouen et Le Havre ne continuent de s’éloigner de Paris et atteindre les objectifs de progression du transport de conteneurs par le fleuve et par le rail. Aujourd’hui, la part du fleuve est de 10 % et  seulement 5 % pour la voie ferroviaire.

Du côté des syndicalistes des ports de Rouen et des dockers du Havre, les secrétaires généraux CGT Fabrice Lottin et Johann Fortier s’inquiètent de belles promesses jamais tenues sur le développement des trafics, alors que l’outil portuaire et industriel est fragilisé. Même son de cloche pour les cheminots CGT, qui dénoncent par la voix de Baptiste Bauza, le sous-investissement chronique sur le ferroviaire depuis quarante ans, tant en termes de fret que de transport de voyageurs, voire le démantèlement d’équipements structurants comme le triage de Sotteville-lès-Rouen alors que « le port d’Anvers s’appuie un outil équivalent ».

Sur le fluvial, il existe un gros potentiel inexploité et des infrastructures qui se mettent à jour grâce aux effets d’Haropa et de Voies Navigables de France. Le trafic totalise 22 millions de tonnes en 2021, alors qu’il atteignait 50 à 60 millions dans les années 1960 rappelle Dominique Ritz, directeur territorial du Bassin de la Seine et Loire aval, qui a détaillé avec Olivier Ferrand, directeur du développement d’Haropa, les investissements conjoints réalisés pour développer le transport fluvial et le décarboner. Avec Frédéric Moulin, son délégué territorial Val de Seine, GRT GAZ a rappelé l’intérêt que pouvait représenter cette énergie, même dans le contexte de crise actuelle, surtout quand elle est fabriquée par méthanisation, processus biologique qui permet de produire du biogaz généré par les biodéchets sans puiser dans les réserves fossiles. Reste à gagner des trafics et Jean-Michel Genestier, maire du Raincy et conseiller de la Métropole du Grand Paris délégué à la logistique, a dit son espoir de voir ce mode se développer, comme en témoignent les réponses des lauréats de l’Appel à manifestation d’intérêt dévoilés le 18 octobre. Du géant du meuble à la brasserie locale, les idées ne manquent pas. Et les avantages environnementaux et marketing compensent largement la moindre vitesse.

Besoin de planification

Point de convergence entre les intervenants : l’attente d’un État stratège. Un besoin de planification invoqué aussi bien par les syndicalistes CGT du port de Rouen que par Arnaud Brennetot Géographe, professeur des universités, qui a mis en évidence la dissymétrie des espaces entre la première métropole européenne qu’est Paris et l’aval de la Seine. Pour Hubert Wulfranc, député de la troisième circonscription de Seine Maritime, c’est également à l’État de donner l’impulsion et surtout de prévoir les moyens. « Le modèle des agences de l’eau, qui a fait ses preuves pour améliorer la qualité des eaux de la Seine », pourrait ainsi être mis à profit pour piloter un projet d’ampleur.

Du grain à moudre pour nourrir la réflexion du délégué interministériel au développement de l’Axe Seine, le préfet Pascal Sanjuan, qui a en charge de préparer le prochain Contrat de plan interrégional État-Régions. Et pour toutes celles et ceux qui souhaitent désormais peser sur les choix nationaux autour de l’Axe Seine et chasser en meute, selon l’expression empruntée à Antoine Rufenacht. Les échanges se poursuivront en 2023 dans les Yvelines autour du mantois, puis en 2024  à Paris.